ON EST TOUS L’ÉTRANGER DE QUELQU'UN.

Sa mâchoire lui faisait mal de sourire en continu. Cette soirée s’annonçait affreuse et ce n’était que le début. Elle se demandait pour quelle raison le sort avait voulu que ce soit elle qui dine avec le haut dignitaire indien en ville pour quelques jours seulement. Il y avait trois possibilités à pierre papier ciseau, pourquoi donc avait-elle choisi papier, sombre idiote. En tous les cas, elle ne pouvait désormais que sourire et entretenir comme elle pouvait la conversation. Son indien était un peu rouillé mais il revint rapidement. Elle devait avouer que son compagnon était plus que patient avec elle et extrêmement bienveillant ce qui facilitait les choses. A vrai dire, elle s’attendait à voir débarquer un vieil homme proche de la cinquantaine mais c’est finalement son fils qui avait décidé de se joindre à elle pour le diner. Elle regrettait de s’être donné tant de mal pour être belle, elle ne voulait pas qu’il se fasse de quelconques idées. Elle avait assez de problèmes pour le moment sans ajouter un diplomate indien à la liste. L’idée d’entretenir une relation sérieuse lui effleura seulement l’esprit, elle pensa surtout à sa mère qui serait plus que ravie de la voir perpétuer son héritage génétique. Mais c’était hors de question, aussi beau soit-il.

« J’aurai vraiment voulu gouter le fameux cheese-cake, mon frère m’en a dit tant de bien. » Elle avait bien évidemment choisi le seul restaurant qui n’en servait pas. Quelle chance aujourd’hui, elle devrait vraiment vérifier l’alignement des planètes en rentrant. « Et bien j’en ai justement fait un ce matin, il repose dans mon réfrigérateur. On peut y être dans une quinzaine de minutes. En tout bien tout honneur bien évidemment. » Elle entrevit un sourire sur ses lèvres tandis qu’il acceptait. « Avec plaisir. » C’est comme ça qu’ils se retrouvèrent chez elle, un samedi soir à vingt-trois heures. En baissant la poignée de la porte d’entrée, elle n’eut jamais été aussi heureuse que Rob soit absent. « J’ai un colocataire, il ne rentrera que très tard ceci dit, dégustation privée ce soir. » Elle prit sa veste et le fit entrer dans son humble demeure. Ce n’était pas un palace mais elle était plutôt satisfaite, elle avait tout redécoré, elle avait vraiment l’impression d’être chez elle. « Asseyez vous, je vais chercher le gâteau. » Bien évidemment, elle ne l’avait pas elle-même préparé mais acheté la veille aux courses. Un petit mensonge ne tuerait personne. Elle attrapait les assiettes et de quoi le découper lorsque l’on sonna à la porte. « Ne vous dérangez pas, j’y vais. » Elle se releva rapidement mais finit par hausser les épaules, ce devait surement être une voisine, ce n’était pas réellement important. « Anley, est ce que vous hébergez un grizzli féroce, parce qu’il se pourrait qu’il soit rentré plus tôt que prévu. » Il l’avait interpellé en indien, judicieux de sa part et la jeune femme quitta la cuisine précipitamment pour rejoindre l’entrée et … Rob. Pourquoi avait-il sonné aussi. Ses deux assiettes à la main, elle se figea derrière son dignitaire et son regard fit quelques allers retours entre eux. « Ce n’est pas ce que tu crois. » Elle ne savait pas ce qu’il croyait mais autant clarifier la situation d’emblée.

- Tu m'invites chez toi ? L'inviter chez lui ? Premièrement ce n'était pas chez lui et deuxièmement il n'avait aucune envie de ramener Monica à la maison. Monica ou Cordélia ? Merde c'était quoi son petit nom ? Il plissa les sourcils et curieusement il recula à la tentative suave de la demoiselle. Elle se pencha sur lui, dévoilant un décolleté sur lequel il bloqua un petit moment, le temps pour elle de se coller à lui et de lui balancer une haleine alcoolisée. Elle cherchait la compagnie d'un homme, comme chaque soir. Il ne la connaissait pas, mais il était simple de deviner qu'elle partait à la chasse à l'homme dès le couché du soleil, qu'elle donnait de l'amour à qui le désirait. L'ex-taulard était peut-être une proie ultra simple à atteindre, il sortait de prison et tout naturellement un manque se détectait en lui. Néanmoins, il n'avait pas sauté sur la première venue. Il ne voulait pas spécialement rattraper quatre années de privation avec une groupie. - Je ne t'intéresse pas ? Demanda-t-elle avec une petite moue et l'œil charmeur. Elle était très intéressante comme nana, son 95C en partie. Elle avait beau avoir tout les atouts qu'un mec recherche chez une nana, il n'en voulait pas et même le temps d'une nuit. Mais il avait tout de même un peu de mal à se concentrer autre part que sur sa poitrine. Le pauvre, elle prenait un malin plaisir à le tenter. Il se leva du tabouret sur lequel il était posé, déposa un billet sur le comptoir. - Bingo. Il adressa un petit sourire à la demoiselle, la laissant en plan, elle et sa paire de seins. Loin d'être outrée, elle attaqua directement un autre client du bar. Il remonta le col de son battle-dress, l'extérieur l'attendait. Il se sentait libre, c'était peut-être bête à dire mais après quatre ans de prison, la liberté n'était que prospérité. La nuit, il quittait occasionnellement l'appartement. Il rentrait à une heure raisonnable, n'abusant pas de cette liberté qu'il savourait tranquillement. La vieille Dodge de son père l'attendait à cheval sur le trottoir, il traversa la rue, prenant le temps de mâter l'arrière-train d'une charmante personne. Il attrapa sa clé de voiture dans la poche arrière de son pantalon, et rentra dans l'habitacle des années soixante. En route, il écouta plusieurs morceaux des Stones, sans vraiment prendre le temps de terminer chacune des chansons. Il changeait à chaque deuxième couplet, une habitude que Emlyne contestait. Ce n'était pas le moment de penser à elle, les remords la talonnaient encore. Il bloqua ses pensées, et arrêta le véhicule aux pieds de l'immeuble. L'ascenseur l'emmena au huitième étage. La clé de l'appartement demeurait introuvable, il explora la moindre de ses poches, en vain. Était-elle sagement posée sur la table du salon ? Probablement. Il râla entre ses dents. L'unique solution, sonner et espérer que Anley lui ouvre la porte. Elle devait être de sortie ce soir, pour le travail. Minuit approchant, elle était sûrement rentrée, au pire il attendrait patiemment sur le pallier. Il se prépara à lui adresser un charmant sourire en coin, mais lorsque la porte d'entrée laissa apparaître un mec, ce sourire se dissipa lentement, donnant naissance à une moue mécontente. - Pardon ? Il le regarda sèchement, rentrant à l'intérieur. La porte resta ouverte derrière lui. Il serra inconsciemment sa main droite, et remarqua Anley derrière l'inconnu. - Tu as un décodeur de blaireau ? Parce que j'ai du mal à saisir. Mince, il insultait accidentellement la langue indienne. Mais qu'imaginait-il ? Il imaginait tout et n'importe quoi. Il pensait à tort. - Merci de me rassurer, mais je m'en moque. Le menteur. Il contourna son amie et l'inconnu. La clé prenait place sur la table du salon, il la ramassa. Il rattrapa la porte d'entrée, se retournant histoire de zieuter Anley du coin de l'œil. - Je te laisse et n'oublies pas de te protéger. L'abruti de première. Était-il obligé de dénouer sa langue de la sorte ? Était-il obligé de sortir une phrase aussi stupide, sans prendre la peine de la ressasser ? Il ne tenait pas à rester sur place. En restant, il prenait le risque que l'ébullition naissante implose en lui. Il bouillonnait de l'intérieur, peut-être pour rien. Pourquoi ne cherchait-il pas à entendre l'explication ? Parce qu'il était trop têtu, trop con. - Désolé de t'avoir dérangé en plein… Il continua. - Je ne veux pas savoir. Il avait dans la voix une certaine sécheresse, mariée à un ressentiment. Il ne réagissait pas comme un ami, non… sa réaction dissimulait autre chose.